2. Vaccin Astrazeneca versus Pfizer (EMA, NEJM, BMJ)
Il est beaucoup question de l’efficacité moindre et du profil de tolérance (syndromes grippaux) du vaccin d’Astrazeneca versus les vaccins à ARNm de Pfizer et Moderna.
Le vaccin d’Astrazeneca est un vaccin à vecteur viral non réplicatif (adénovirus de chimpanzé), facile à conserver au frigo, à 2 doses. C’est la raison pour laquelle les généralistes vont pouvoir l’utiliser et que ce vaccin est d’autre part largement utilisé pour la vaccination des professionnels de santé.
Son efficacité, particulièrement chez les personnes âgées, a été remise en cause :https://www.bmj.com/content/372/bmj.n414
Les Etats-Unis ne l’ont toujours pas autorisé. L’Allemagne et la France ne le recommandent pas chez les plus de 65 ans, alors que l’OMS et l’EMA ne le déconseillent pas dans cette catégorie d’âge. Pour essayer de comprendre cette divergence de point de vue, il faut se plonger dans les données cliniques. https://www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/covid-19-vaccine-astrazeneca-epar-public-assessment-report_en.pdf
L’AMM a été accordée sur la base de 2 études, l’une menée en Angleterre (COV002) et l’autre au Brésil (COV-003), sur environ 10.000 patients. L’efficacité globale de la vaccination était de 66,5% (IC95% : 56,9-73,9%), soit 82 cas versus 240. Sur les hospitalisations, il y a eu 0 cas avec le vaccin contre 8 cas (dont 1 sévère) dans le groupe contrôle.
Dans les sous-groupes :
– Patients avec comorbidités : efficacité de 73,5% (IC95% : 48,5-86,3%)
– Patients âgés de plus de 65 ans : 4 cas de COVID/687 patients versus 7/666 patients, soit une efficacité ininterprétable : 44.8% (IC95%: -88.8, 83.88).
– Patients âgés de 56 à 65 ans : 8 cas de COVID versus 9 cas. Le dénominateur n’est même pas donné.
Dans l’absolu, il n’y a donc pas de données robustes chez les plus de 65 ans (et encore moins chez les 56-65 ans soit dit en passant), position défendue par la France et l’Allemagne. L’EMA et l’OMS considèrent de leur côté que les données de pharmacodynamie ne montrent pas de différence en terme de réponse immunitaire entre les plus et les moins de 65 ans, et que les autres vaccins n’ont pas montré de différence d’efficacité selon la catégorie d’âge, d’où l’absence de restrictions.
Les deux points de vue se défendent, bien que j’aurais tendance à suivre l’avis de l’EMA de ne pas restreindre, tout comme le fait que grâce à la bourde d’un parlementaire belge, on connait le prix du vaccin d’Astrazeneca (1,78 euros l’unité) et celui des autres (14,70 euros pour celui de Moderna).
On remarque néanmoins que:
1. L’efficacité du vaccin Pfizer a été confirmée en vie réelle en Israël (efficacité à 94%) (cf NEJM) https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa2101765
2. Le vaccin d’Astrazeneca pourrait être inefficace sur le variant sud-africain, qui se répandrait en Moselle: https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.02.10.21251247v1
Faire des comparaisons indirectes de l’efficacité des vaccins dans les essais cliniques est compliqué. Les études cliniques n’ont pas été faites en même temps, ni dans les mêmes pays. De plus, les premières données en vie réelle de la vaccination en Angleterre et en Ecosse, fief d’Astrazeneca, sont très encourageants, quelque soit le vaccin utilisé, notamment sur les formes graves :
https://www.bmj.com/content/372/bmj.n506
https://www.ed.ac.uk/files/atoms/files/scotland_firstvaccinedata_preprint.pdf
En l’état, les vaccins à ARNm représentent 60% des commandes de la France et celui d’Astrazeneca environ 20% des commandes. Si l’objectif est légitimement de vacciner au plus vite la population, celui d’Astra n’est pas cher, facilement conservable, et, avec une efficacité un peu moindre que les autres mais de 65% tout de même, il participera aussi à la limitation de la propagation du virus, de l’engorgement des services hospitaliers et probablement à la baisse de la mortalité.
Les choses peuvent évoluer d’un mois à l’autre, la vérité du jour n’est pas celle du lendemain, en fonction de la propagation et de l’apparition de variants, et de l’état des connaissances, cf article dans Nature.
https://www.nature.com/articles/d41586-021-00409-0
Merci au docteur Xavier Bresse pour l’illustration
3. Ne faudrait-il pas vacciner en priorité les enseignants ? Oui!
Texte issu de la newletter n°40 de F. Adnet :
« Éternel débat sur le rôle de l’école dans la propagation de cette épidémie. Le rôle des enfants et des écoles, principalement pour les plus petits, est probablement modeste. Mais qu’en est-il de la transmission prof-élève (et inversement) ? En étudiant 9 clusters survenant dans des écoles aux États-Unis, les chercheurs ont fait une drôle de découverte : la majorité des transmissions se faisait de l’enseignant vers les élèves (Morbidity and Mortality Weekly Report ; 22 Février 2021) ! Pour ces clusters survenant dans des écoles élémentaires, il y avait 13 enseignants et 32 élèves. L’élève était le patient « source » pour 1 cluster et l’enseignant pour 4 autres clusters. Pratiquement tous les clusters ont mis en évidence des transmissions enseignants-élèves. Les auteurs insistent sur la nécessité de respecter les gestes barrières enseignants-élèves, et, probablement d’inclure les enseignants dans les populations à vacciner en priorité au même titre que les soignants. Cette mesure pourrait réellement limiter la responsabilité des écoles dans la transmission de l’épidémie. ».
4. Ambulances pour AVC (JAMA)
Un article intéressant dans le JAMA sur la mise en place d’ambulances dédiées à la prise en charge précoce des AVC (pouvant effectuer des thrombolyses) en Allemagne. Etude non-randomisée, mais ces ambulances spécifiques améliorent le score de Ranking modifié à 3 mois (score allant de 0 : pas de déficit neurologique à 6 : décès) comparativement à la prise en charge standard.
https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2775714
5. Un peu de méthodologie… (Lancet)
Pour les néophytes, dans de nombreuses indications, le développement clinique des médicaments repose sur l’utilisation de critères de substitution (appelés surrogate endpoints), plutôt que sur l’utilisation de critères cliniques plus durs, afin d’obtenir des AMM. C’est le cas notamment des anti-hypertenseurs (les études s’appuient sur la baisse de la tension artérielle plutôt que des critères type MACE regroupant mortalité CV/AVC/IDM) ou pendant longtemps des antidiabétiques (HbA1c plutôt que la diminution des événements macro ou microvasculaires). Tout cela dans le but d’accélérer les autorisations de mise sur le marché et de diminuer le coût des essais cliniques. L’utilisation de ces surrogates est généralement mal perçue par les autorités en charge du remboursement type HAS en France et quelques désastres (par exemple rosiglitazone dans le diabète) ont remis en cause ce paradigme depuis une quinzaine d’années.
En cancérologie, un surrogate largement utilisé dans le cancer du sein et accepté par la FDA est le taux de survie sans événement (« event-free survival ») choisi comme critère de jugement principal, permettant d’obtenir des autorisations accélérées. Il y en a d’autres, tels que la survie sans progression ou la survie sans métastase. Une étude parue dans EClinicalMedicine a évalué la corrélation entre la survie sans événement et la mortalité. Bien qu’il était observé une tendance, l’association entre les 2 événements était non-significative. Au regard du coût pharaonique des anticancéreux sur les dépenses de santé, il serait donc judicieux que les surrogates soient validés avant de servir dans les études pivots.
https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(21)00010-9/fulltext
6. Viens voir le docteur (JO, BMJ)
Dans le journal officiel sur la loi de programmation de la recherche 2021-2030 parue en décembre dernier, l’article 32 stipule que « Les titulaires du diplôme national de doctorat peuvent faire usage du titre de docteur dans tout emploi et en toute circonstance. ». Le titre de « docteur » n’est donc plus l’apanage, en langage courant tout du moins, des seuls médecins. Ou de quelques rappeurs talentueux (Dr Dre ou Doc Gyneco). Cette disposition a pour but d’harmoniser l’utilisation de ce titre avec les autres pays européens.
L’utilisation du titre de « docteur » n’est pas anodine et serait par ailleurs un révélateur du sexisme ambiant dans la communauté médicale. Dans le BMJ de Noël, un article reprend une étude montrant que dans les congrès médicaux, lorsque les femmes sont les modératrices, elles introduisent les intervenants en utilisant le titre de « docteur » dans 96% des cas, alors que les hommes ne le font que dans 66%. Mais surtout, lorsque le modérateur est un homme, celui-ci introduit l’orateur en tant que « docteur » dans 73% si c’est un homme, contre 49% si c’est une femme.
Notons néanmoins que le monde des affaires n’a rien à envier au monde médical, puisque, plus consternant, l’article cite une enquête du New-York Times montrant qu’aux aux Etats-Unis, il y aurait plus souvent de top-leader s’appelant « John » que de femmes.
https://www.bmj.com/content/371/bmj.m4754