2021 avril: Revue biblio du Dr BOUCAUD MAITRE

Nouvelle sélection d’articles des deux derniers mois (hors-COVID).

1. Antihypertenseurs et risque CV (Lancet)
Une méta-analyse sur données individuelles de 48 essais (n=344.716 patients) suggère qu’une baisse de 5 mmHg de PA diminue le risque d’événements cardiovasculaires majeurs de 10% (suivi moyen dans les études : 4,1 ans), peu importe que les patients aient ou non des antécédents cardiaques et peu importe le niveau de PA initial. A priori même chez ceux ayant une PA considérée comme normale, en tout cas non traitée pharmacologiquement.

Les auteurs concluent que les médecins devraient davantage communiquer sur l’importance de la réduction du risque CV plutôt que sur la baisse de la PA en elle-même.

https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2821%2900590-0

2. Inégalités sociales versus hygiène de vie (BMJ)
Une étude épidémiologique intéressante a été menée aux US (n=44.462) et UK (n=399.537) sur l’interaction entre les inégalités sociales et l’hygiène de vie sur les événements de santé (mortalité, mortalité CV et morbidité) (suivi à 11 ans).

Un niveau social bas était associé à un risque doublé de mortalité (HR: 2.13, IC95% : 1,90-2,38) comparativement à un niveau social élevé, mais l’hygiène de vie ne pouvait expliquer que dans 3 à 12,3% l’excès de risque. En d’autres termes, la promotion d’un mode de vie sain ne permet pas seule de réduire les inégalités sociales en termes de santé.

https://www.bmj.com/content/373/bmj.n604

3. Poloxamer dans la drépanocytose (JAMA)
La drépanocytose a longtemps été le parent pauvre de la recherche thérapeutique mais les choses ont changées depuis quelques années, elle devient même une priorité pour de grandes firmes pharmaceutiques actuellement.

Dans le traitement de la crise vaso-occlusive par exemple, une étude en 2001 avait suggéré que l’administration de poloxamer permettait une réduction de la durée de l’épisode versus placebo (141 heures versus 133 heures, p=0,04)).

Un essai similaire (pourtant effectué en 2016) vient d’être publié, ne mettant pas en évidence un bénéfice clinique de la substance active sur un critère de jugement différent : la durée de la dernière dose d’opioïdes utilisée en parentérale pour la résolution de la crise (81,8 heures versus 77,8 heures (p=0,09)).

Dans l’éditorial associé, l’explication avancée serait que dans le premier essai, la durée de l’épisode jusqu’à la résolution était évalué subjectivement par les investigateurs, avec beaucoup de dossiers incomplets, particulièrement dans le groupe placebo, ayant mené à une imputation des données manquantes en faveur du poloxamer. De l’importance de bien choisir son critère de jugement et sa méthodologie.

https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2778807

https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2778824?resultClick=1

4. Scolopendre (Clinical Toxicology)
Une étude thaïlandaise dans la meilleure revue de toxicologie a étudié les cas de morsure par la scolopendre dans le CHU de Bangkok. Seulement 245 cas en 10 ans (2006-2015), avec 12 cas compatibles avec un choc anaphylactique. Tous ont reçu des analgésiques, les antibiotiques ont été prescrits chez 53,9% des patients et les antihistaminiques chez 20,4%.

Il y a de quoi faire mieux en Guadeloupe : rien qu’entre le CHUG et le CHBT, il y a eu 172 cas de morsures entre 2013 et 2015 aux urgences… et France Antilles a publié 2 cas mortels en 2016 (plus que douteux puisqu’aucune enquête médicale n’a été menée). Quant à savoir si les antibiotiques sont utiles… En tout cas, pour les fins palais amateurs de rhum imbibé de scolopendres, un cas clinique de 2004 de rhabdomyolyse (entre autres) dans le lien ci-après et une photo appétissante.

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15563650.2020.1865543

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1081/JDI-120028562

5. Revues prédatrices (Revue de médecine interne)
L’avènement du système auteur-payeur pour la publication des articles a permis le développement des revues prédatrices, généralement tenus par des « maisons d’éditeur » indiens ou russes, qui mettent en ligne les articles pour un coût modique et une relecture par les pairs plus qu’hasardeuse. Une enquête avait montré que près de 10% des chercheurs du CIRAD par exemple avaient déjà publié dans ce type de revue bidon. Une synthèse intéressante dans la Revue de Médecine Interne est disponible pour les identifier et comprendre leur fonctionnement.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0248866321004070

6. Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi ! (NEJM)
Un essai clinique paru dans le NEJM que n’aurait pas renié Billy Ze Kick… La psilocybine, bien connue des cueilleurs de champignons hallucinogènes, aurait une activité agoniste sur les récepteurs 5 HT2A. Elle a donc tout naturellement été comparée à l’escitalopram chez des patients dépressifs dans un essai en double-aveugle (n=59). Pas de différence sur l’échelle de dépression (QIDS-SR-16) à 6 semaines entre les 2 groupes (p=0,17).

Pour les effets « indésirables » de la psilocybine, je traduis : « Les patients du groupe psilocybine ont rapporté de plus grandes améliorations perçues dans la capacité à pleurer et à ressentir de la compassion, des émotions intenses et le plaisir, et ont déclaré se sentir moins somnolents que ceux du groupe escitalopram. Aucun cas d’altération de la perception visuelle ou de troubles psychotiques n’a été observé».
Gare à la descente quand même…

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2032994

7. Apocalypse now (American Psychiatric Association)
Mais tout n’est pas perdu. Au cours du congrès de l’American Psychiatric Association la semaine dernière, une psychothérapie assistée au MDMA a montré des résultats favorables dans le traitement du trouble du stress post-traumatique. Dans cette étude en double-aveugle chez 90 patients, 67% des patients traités au MDMA ne remplissaient plus les critères de PTSD versus 32% sous placebo, et ils présentaient même un score de dépression inférieur de 10 points environ sur l’échelle BDI. Bien entendu, aucun cas d’abus de substance ou de pensées suicidaires sous MDMA dans cet essai strictement encadré.
Les américains ont donc enfin trouvé LA solution pour les vétérans de la guerre d’Irak.. A l’image des opiacées et opioïdes, il suffira ensuite d’élargir subtilement les indications à toute personne ayant subi un « choc émotionnel » par exemple. Avec un peu de chance et une pincée de marketing ourdi, l’Amérique entière sera donc bientôt sous ecstasy.

https://www.apmnews.com/depeche/118895/367148/phase-iii-positive-pour-une-psychotherapie-assistee-par-mdma-dans-le-trouble-de-stress-post-traumatique

Actualités concernant la « Visite Longue »

D’abord réservée aux patients en ALD pour une pathologie neuro-dégénérative identifiée (démences, Parkinson, SEP…), vus à domicile (ou en EHPAD) en présence des aidants habituels (famille, aide-ménagère…)
Etendue depuis février 2019, aux
–  visite complexe pour soins palliatifs, réalisée par le médecin traitant
1ere visite à domicile pour un patient entrant dans la patientèle médecin traitant, dès lors que:
a) le patient n’avait pas ou souhaite changer de médecin traitant
b) est en incapacite de se déplacer
pour raison médicale
c) est en ALD ou agé de plus de 80 ans.

A partir du 01/04/2022, la VL est étendue à tous les patients de plus de 80 ans en ALD, et reste valable pour tous les patients atteints de troubles dégénératifs ou en soins palliatifs, quel que soit leur âge, en s’aidant si besoin  de la check-list PEC personnes âgées.

La cotation à utiliser en Guadeloupe est : VL (72 €) + MD (10 €)  +/- IK, maximum une fois par trimestre, sauf  pour les soins palliatifs qui se coteront sans intervalle mais limitées à 4 par an.

2021 févier: Revue bibliographique du Dr BOUCAUD MAITRE

La nouvelle revue du Dr Denis BOUCAUD MAITRE : Méthodologiste, et Praticien Hospitalier, à la Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation (DRCI) du CHU de Guadeloupe.

 Sélection  du mois :
1. Variant californien (Nature)
Voici donc l’arrivée d’un nième variant, le californien, qui serait une fois de plus « plus virulent, plus transmissible et plus résistant aux anticorps ». L’article de Nature apporte quelques nuances sur le manque de données.
https://www.sciencemag.org/news/2021/02/coronavirus-strain-first-identified-california-may-be-more-infectious-and-cause-more

2. Vaccin Astrazeneca versus Pfizer (EMA, NEJM, BMJ)
Il est beaucoup question de l’efficacité moindre et du profil de tolérance (syndromes grippaux) du vaccin d’Astrazeneca versus les vaccins à ARNm de Pfizer et Moderna.
Le vaccin d’Astrazeneca est un vaccin à vecteur viral non réplicatif (adénovirus de chimpanzé), facile à conserver au frigo, à 2 doses. C’est la raison pour laquelle les généralistes vont pouvoir l’utiliser et que ce vaccin est d’autre part largement utilisé pour la vaccination des professionnels de santé.

Son efficacité, particulièrement chez les personnes âgées, a été remise en cause :https://www.bmj.com/content/372/bmj.n414

Les Etats-Unis ne l’ont toujours pas autorisé. L’Allemagne et la France ne le recommandent pas chez les plus de 65 ans, alors que l’OMS et l’EMA ne le déconseillent pas dans cette catégorie d’âge. Pour essayer de comprendre cette divergence de point de vue, il faut se plonger dans les données cliniques. https://www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/covid-19-vaccine-astrazeneca-epar-public-assessment-report_en.pdf

L’AMM a été accordée sur la base de 2 études, l’une menée en Angleterre (COV002) et l’autre au Brésil (COV-003), sur environ 10.000 patients. L’efficacité globale de la vaccination était de 66,5% (IC95% : 56,9-73,9%), soit 82 cas versus 240. Sur les hospitalisations, il y a eu 0 cas avec le vaccin contre 8 cas (dont 1 sévère) dans le groupe contrôle.
Dans les sous-groupes :
– Patients avec comorbidités : efficacité de 73,5% (IC95% : 48,5-86,3%)
– Patients âgés de plus de 65 ans : 4 cas de COVID/687 patients versus 7/666 patients, soit une efficacité ininterprétable : 44.8% (IC95%: -88.8, 83.88).
– Patients âgés de 56 à 65 ans : 8 cas de COVID versus 9 cas. Le dénominateur n’est même pas donné.

Dans l’absolu, il n’y a donc pas de données robustes chez les plus de 65 ans (et encore moins chez les 56-65 ans soit dit en passant), position défendue par la France et l’Allemagne. L’EMA et l’OMS considèrent de leur côté que les données de pharmacodynamie ne montrent pas de différence en terme de réponse immunitaire entre les plus et les moins de 65 ans, et que les autres vaccins n’ont pas montré de différence d’efficacité selon la catégorie d’âge, d’où l’absence de restrictions.

Les deux points de vue se défendent, bien que j’aurais tendance à suivre l’avis de l’EMA de ne pas restreindre, tout comme le fait que grâce à la bourde d’un parlementaire belge, on connait le prix du vaccin d’Astrazeneca (1,78 euros l’unité) et celui des autres (14,70 euros pour celui de Moderna).

On remarque néanmoins que:
1. L’efficacité du vaccin Pfizer a été confirmée en vie réelle en Israël (efficacité à 94%) (cf NEJM) https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa2101765

2. Le vaccin d’Astrazeneca pourrait être inefficace sur le variant sud-africain, qui se répandrait en Moselle: https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.02.10.21251247v1

Faire des comparaisons indirectes de l’efficacité des vaccins dans les essais cliniques est compliqué. Les études cliniques  n’ont pas été faites en même temps, ni dans les mêmes pays.  De plus, les premières données en vie réelle de la vaccination en Angleterre et en Ecosse, fief d’Astrazeneca, sont très encourageants, quelque soit le vaccin utilisé, notamment sur les formes graves :

https://www.bmj.com/content/372/bmj.n506
https://www.ed.ac.uk/files/atoms/files/scotland_firstvaccinedata_preprint.pdf

En l’état, les vaccins à ARNm représentent 60% des commandes de la France et celui d’Astrazeneca environ 20% des commandes. Si l’objectif est légitimement de vacciner au plus vite la population,  celui d’Astra n’est pas cher, facilement conservable, et, avec une efficacité un peu moindre que les autres mais de 65% tout de même, il participera aussi à la limitation de la propagation du virus, de l’engorgement des services hospitaliers et probablement à la baisse de la mortalité.

Les choses peuvent évoluer d’un mois à l’autre, la vérité du jour n’est pas celle du lendemain, en fonction de la propagation et de l’apparition de variants, et de l’état des connaissances, cf article dans Nature.
https://www.nature.com/articles/d41586-021-00409-0

Merci au docteur Xavier Bresse pour l’illustration

3. Ne faudrait-il pas vacciner en priorité les enseignants ? Oui!
Texte issu de la newletter n°40 de F. Adnet :
« Éternel débat sur le rôle de l’école dans la propagation de cette épidémie. Le rôle des enfants et des écoles, principalement pour les plus petits, est probablement modeste. Mais qu’en est-il de la transmission prof-élève (et inversement) ? En étudiant 9 clusters survenant dans des écoles aux États-Unis, les chercheurs ont fait une drôle de découverte : la majorité des transmissions se faisait de l’enseignant vers les élèves (Morbidity and Mortality Weekly Report ; 22 Février 2021) ! Pour ces clusters survenant dans des écoles élémentaires, il y avait 13 enseignants et 32 élèves. L’élève était le patient « source » pour 1 cluster et l’enseignant pour 4 autres clusters. Pratiquement tous les clusters ont mis en évidence des transmissions enseignants-élèves. Les auteurs insistent sur la nécessité de respecter les gestes barrières enseignants-élèves, et, probablement  d’inclure les enseignants dans les populations à vacciner en priorité au même titre que les soignants. Cette mesure pourrait réellement limiter la responsabilité des écoles dans la transmission de l’épidémie. ».

4. Ambulances pour AVC (JAMA)
Un article intéressant dans le JAMA sur la mise en place d’ambulances dédiées à la prise en charge précoce des AVC (pouvant effectuer des thrombolyses) en Allemagne. Etude non-randomisée, mais ces ambulances spécifiques améliorent le score de Ranking modifié à 3 mois (score allant de 0 : pas de déficit neurologique à 6 : décès) comparativement à la prise en charge standard.
https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2775714

5. Un peu de méthodologie… (Lancet)
Pour les néophytes, dans de nombreuses indications, le développement clinique des médicaments repose sur l’utilisation de critères de substitution (appelés surrogate endpoints), plutôt que sur l’utilisation de critères cliniques plus durs, afin d’obtenir des AMM. C’est le cas notamment des anti-hypertenseurs (les études s’appuient sur la baisse de la tension artérielle plutôt que des critères type MACE regroupant mortalité CV/AVC/IDM) ou pendant longtemps des antidiabétiques (HbA1c plutôt que la diminution des événements macro ou microvasculaires). Tout cela dans le but d’accélérer les autorisations de mise sur le marché et de diminuer le coût des essais cliniques. L’utilisation de ces surrogates est généralement mal perçue par les autorités en charge du remboursement type HAS en France et quelques désastres (par exemple rosiglitazone dans le diabète) ont remis en cause ce paradigme depuis une quinzaine d’années.

En cancérologie, un surrogate largement utilisé dans le cancer du sein et accepté par la FDA est le taux de survie sans événement (« event-free survival ») choisi comme critère de jugement principal, permettant d’obtenir des autorisations accélérées. Il y en a d’autres, tels que la survie sans progression ou la survie sans métastase. Une étude parue dans EClinicalMedicine a évalué la corrélation entre la survie sans événement et la mortalité. Bien qu’il était observé une tendance, l’association entre les 2 événements était non-significative. Au regard du coût  pharaonique des anticancéreux sur les dépenses de santé, il serait donc judicieux que les surrogates soient validés avant de servir dans les études pivots.
https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(21)00010-9/fulltext

6. Viens voir le docteur (JO, BMJ)
Dans le journal officiel sur la loi de programmation de la recherche 2021-2030 parue en décembre dernier, l’article 32 stipule que « Les titulaires du diplôme national de doctorat peuvent faire usage du titre de docteur dans tout emploi et en toute circonstance. ». Le titre de « docteur » n’est donc plus l’apanage, en langage courant tout du moins, des seuls médecins. Ou de quelques rappeurs talentueux (Dr Dre ou Doc Gyneco). Cette disposition a pour but d’harmoniser l’utilisation de ce titre avec les autres pays européens.

L’utilisation du titre de « docteur » n’est pas anodine et serait par ailleurs un révélateur du sexisme ambiant dans la communauté médicale. Dans le BMJ de Noël, un article reprend une étude montrant que dans les congrès médicaux, lorsque les femmes sont les modératrices, elles introduisent les intervenants en utilisant le titre de « docteur » dans 96% des cas, alors que les hommes ne le font que dans 66%. Mais surtout, lorsque le modérateur est un homme, celui-ci introduit l’orateur en tant que « docteur » dans 73% si c’est un homme, contre 49% si c’est une femme.

Notons néanmoins que le monde des affaires n’a rien à envier au monde médical, puisque, plus consternant, l’article cite une enquête du New-York Times montrant qu’aux aux Etats-Unis, il y aurait plus souvent de top-leader s’appelant « John » que de femmes.
https://www.bmj.com/content/371/bmj.m4754