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Sentinelles971

Le blog d'information des Médecins Généralistes de Guadeloupe

Premier diagnostic de CHIK!

… une nouvelle expérience clinique que je partage avec vous… 🙂

Dans le contexte actuel de co-circulation de virus (dengue, chikungunya, et aussi grippe qui commence…), mon « appréhension » était de ne pas faire la différence avec une dengue… mais c’est un cas presque « comme dans les livres » qui est venu à moi…
Finalement de la même manière que
– devant un syndrome dengue-like (asthénie, courbatures, fièvre), l’association avec un coryza et/ou une toux; va faire penser grippe avant dengue,
– devant un syndrome dengue like avec une éruption papulo-maculeuse (à la différence de l’érythème diffus de la dengue), et prurigineuse (qui m’a d’abord fait penser à une allergie), et des arthralgies des extrémités; va faire penser chikungunya avant dengue.

Je reviens sur la description de « mon presque cas d’école »:
– Jeune femme de 20 ans, enceinte de 7 semaines.
– Elle vient pour éruption prurigineuse (particulièrement au niveau des paumes de mains) depuis hier.
Elle est habillée d’une robe longue qui dégage les bras et à ce stade je pense allergie, et l’interroge le repas précédent le début de l’éruption (pommes de terre, steak haché, lardons, et une pomme pelée) et ses prises médicamenteuses (paracétamol pour fièvre il y a quelques jours), pas d’allergies antérieures connues.

A l’EXAMEN :
pas de fièvre (d’où mon presque comme dans les livres), sans antipyrétique ce jour.
– ORL: ras, notamment pas d’œdème de la luette (je suis toujours sur mon idée allergie)
– cardio-pulmonaire: ras
– ni signes urinaires, ni signes digestifs
– cutané: éruption maculo-papuleuse, prurigineuse qui concerne surtout les 4 membres, confluente au niveau des mains et pieds (laissant moins d’espaces de peau saine entre les maculo-papules).
Les mains sont donc rouges, chaudes, avec un œdème symétrique.
Elle me décrit alors des arthralgies, avec raideur, et en fait… en début de semaine elle était clouée au lit avec de la fièvre et des douleurs articulaires des petites articulations et une sensibilité des plantes de pieds…

Et là… je crois que c’est la localisation paumes et plantes qui a fait « tilt »… je commence à me dire: CHIK!!!???
Après une dernière petite question je suis convaincue: elle habite dans la commune connue comme principal foyer actuel de Chikungunya en Guadeloupe!
Dans mon petit cerveau en effervescence… je commence à penser qu’elle est enceinte… et que j’ai survolé le chapitre « femme enceinte » de la « fiche synthétique à l’attention des médecins » de l’ARS Martinique et Guadeloupe… et qu’il va justement falloir que je les appelle… et qu’on est samedi 11h…

Et me voilà donc à lui:
Annoncer qu’elle très probablement le Chikungunya…
Expliquer dans son cas (après relecture du chapitre « femme enceinte » de la fiche ARS) la prise en charge:
• confirmer biologiquement le diagnostic
• éliminer les diagnostics différentiels, à la recherche des étiologies potentiellement graves, à adapter au contexte clinique : (listeria, pyélonéphrite, mais aussi infections à CMV, à Parvovirus B19, toxoplasmose, rubéole, dengue avec thrombocytose…) 

– prescrire la prise de sang, expliquer où aller un samedi à 11h… puis me communiquer le nom du laboratoire.
– expliquer qu’il va falloir qu’elle reste chez elle, et qu’elle fasse tout pour ne pas se faire piquer par les moustiques, et éviter ainsi de le donner à son entourage…
– faire un mot pour l’école
prescrire un traitement symptomatique compatible avec la grossesse (après consultation éventuelle du site du CRAT), avec rappel du respect des posologies (paracétamol)
– Conseiller une bonne hydratation
– Conseiller d’appeler (si état stable) ou reconsulter à 48h pour réévaluation (si aggravation ou nouvel élément)
– Expliquer que je vais joindre l’ARS pour signaler son cas et qu’il y aura une enquête de voisinage…
– Récupérer les adresses et numéros de téléphone où joindre la patiente.

J’appelle donc l’ARS devant elle, et tombe sur un administratif d’astreinte qui prend mes coordonnées et me dit que le médecin d’astreinte va me rappeler… ce qu’il fait rapidement. Je lui décrit le tableau clinique, il prend les coordonnées de la patiente, me répète les conseils à prodiguer, et m’envoie par mail la fiche de signalement à remplir, que je devrais lui renvoyer…

Enfin avant que ma sympathique patiente se rhabille elle avait accepté que ma consœur dans le bureau à coté vienne voir son éruption (c’est mon coté maître de stage :-))

Au total la consultation m’aura bien pris un bon 40 minutes , plus l’impression/remplissage/et renvoi de la fiche de signalement ARS à la fin de la matinée…

Cependant comme souvent devant un cas « intéressant » (pour le médecin, pas toujours pour le patient…), on a la satisfaction d’avoir fait son travail…
La démarche médicale fait appel aux connaissances théoriques, et à l’analyse clinique du patient dans « la vraie vie ».
demarche

A posteriori, aboutir au « bon » diagnostic semble facile, devant ce tableau clinique presque typiqueSAUF QUE la fièvre est absente lors de l’examen, et que l’hypothèse retenue n’a rien à voir avec ma 1ère idée (allergie devant un éruption prurigineuse)!

Les hypothèses diagnostiques retenues (la médecine restant une science probabiliste) sont le produit synthétique de la démarche diagnostique:
– interrogatoire
– recueil séméïologique, et reconstitution de l’histoire de la maladie
– examen 
– analyse clinique de la situation en fonction des connaissances et recommandations.

Vient ensuite la démarche décisionnelle, fonction du contexte (gravité, environnement médical, familial, social…), avec souvent une négociation/adaptation aux conditions et à la situation, pour aboutir à une orientation, des examens complémentaires, une proposition thérapeutique…

Ce cas clinique est donc un bon exemple de la valeur d’un interrogatoire, de la reconstitution de l’histoire de la maladie (en fait J4 d’un syndrome viral), de l’examen clinique (localisation des arthralgies, type d’éruption et localisation), et de l’intérêt du maintien et de l’approfondissement des connaissances (et pour cela je vous conseille le Dossier spécial Chikungunya, Point sur les connaissances et la conduite à tenir, INVS, 2008)
Tout cela fait de la médecine générale une discipline passionnante, que l’on a envie de partager (ce que je fais justement :-)) et de transmettre (encore mon coté maître de stage).

Maladies à déclaration obligatoire…tous « sentinelles ».

Nous sommes tous des sentinelles notamment lors du signalement d’une maladie de la  liste des 31 maladies à déclaration obligatoire.

Retenir en Guadeloupe:
– La dengue est exclue de la liste.
– La rougeole dans le contexte mondial (recrudescence) et régional (cas groupés début 2011 à Saint-Martin).
– Le choléra dans le contexte de proximité avec Haiti, et des 2 cas confirmés à Saint Martin en 2012.
-Les TIAC (Toxi-Infections Alimentaires Collectives), y penser et les signaler sans attendre au 05 90 410 200 et/ou en utilisant la fiche de signalement.

NOTA BENE:
-Les cas de ciguatera sont à signaler dès le premier cas (à la différence des TIAC par définition ≥ 2 cas)
-L’infection à VIH, le paludisme d’importation, la tuberculose… sont des diagnostics biologiques déclarés par les laboratoires.

A lire: BVS 2013-01 spécial MDO dans les DFA